DANS LA PSYCHOTHÉRAPIE VITTOZ POUR DES PERSONNES
DONT LE PROBLÈME EST ORIGINÉ À UNE PÉRIODE ARCHAÏQUE
Intervention de Michelle
Bussillet le samedi 21 février 2009 à la Formation Médicale
Continue en Psycho-Somatique, Hôpital de la Salpétrière
(Responsable: Professeur Jean-Benjamin Stora).
Il semble important de
réfléchir à l'impact que peut avoir la relaxation sur les
personnalités psychosomatiques, limites, toutes les
personne dont le problème est originé à une période
archaïque. Nous verrons ce qui se passe dans la relaxation
en elle-même, puis je vous présenterai la spécificité de la
technique Vittoz, avec deux vignettes cliniques.
Nous le verrons au fur et à mesure, lorsque nous parlons de
relaxation, il ne s'agit pas uniquement de relaxation
allongée, mais nous faisons vivre à nos patients des
expériences corporelles qui les détendent.
Chez les personnalités psychosomatiques, l'énergie
libidinale et agressive n'est prise en charge ni par le
psychisme ni par l'agir, cette énergie est déplacée sur le
corps. C'est pourquoi la relaxation, qui part du
corps, peut
tenter de construire ce qui n'a pas été construit dans la
petite enfance.
L'origine de la maladie psychosomatique est archaïque; il
s'agit de personnalités très fragiles; nous sommes donc
attentifs, en début de cure, à ne pas proposer des images,
ou des positions qui pourraient provoquer des états de
panique, ou des fantasmes incontrôlés. Nous proposons la
position allongée lorsqu'elle ne risque pas d'être
identifiée à la mort.
Les maladies psychosomatiques
touchent la vie végétative, et la relaxation influence le
système neuro-végétatif.
Le relaxation est globalisante, elle fait un lien
corps-mental; elle révèle le schema corporel, elle peut
agir, peu à peu, sur l'image inconsciente du corps. Il
s'agit de permettre que ce lien entre le corps et la psyché
facilite l'épanouissement de l'imaginaire, voire sa
renaissance.
Pour les
malades psychosomatiques, le but à moyen terme sera de
favoriser l'émergence de l' imaginaire créatif. Le langage
opératoire pourra alors évoluer pour permettre au relaxant
de parler avec des mots qui nomment une sensation, une
représentation, une image, un plaisir , à partir de tout ce
qui les accompagne de sensoriel et d'affectif. Mais aussi
un déplaisir, une douleur, un conflit, quelque chose qui
est de l'ordre de la perte, du vide, de l'agressivité.
Parce que le relaxateur utilise des métaphores s'agissant
du corps, le relaxant trouvera ses propres métaphores.
C'est à ce prix que les patients sortiront du langage
opératoire, pour trouver une expression vivante.
Dans toutes les formes de relaxation, le thérapeute est
d'abord une bonne mère, quel que soit son sexe. La
relaxation peut être narcissisante, induite par une mère
qui enseigne, qui n'attend pas de résultat, qui ne juge
pas. Une mère qui nourrit avec ses mots, ses silences, sa
présence .
Selon les méthodes, la relaxation est plus proche de
l'hypnose, ou bien elle met l'accent sur le réel (par
exemple le relaxologue de Schulz dira : "Votre corps est
lourd", en Vittoz nous disons plus volontiers : "Prenez
conscience de votre corps qui prend tout son poids sur le
divan".
La cure Vittoz a pour but premier l'apprentissage de la
réceptivité, de la concentration, des actes pour stimuler
le désir, qui lui-même stimule la volonté…
Le Docteur Vittoz ne parlait pas de relaxation.
Il est mort en 1925
alors que Jacobson n'était pas traduit en France. La
traduction française du training autogène date de 1932. Il
parlait de détente; il parlait, dans sa technique, de la
réceptivité aux sensations, qu'elles soient extéroceptives
ou corporelles, qu'elles soient au niveau de la peau ou de
l'espace intérieur. La relaxation psychosensorielle
qui est présentée par Suzanne Dedet a été mise au point à
partir de cette méthode.
Nous
savons que le malade psychosomatique surinvestit le
cognitif. Si le thérapeute met l'accent sur le senti, si
lui-même peut être ressenti comme une objet anaclitique,
puis une mère suffisamment bonne, et aussi comme une mère
qui sollicite l'instinct de vie, il permettra au patient de
vivre pleinement ses sensations, de ne pas se borner à un
discours impersonnel issu d' un réel banal. D'autre part,
le transfert permet au relaxant de mieux faire face à la
dépression essentielle.
Nous ne
savons pas si Vittoz connaissait Grodeck, ou les travaux
des premiers psychosomaticiens. Médecin de médecine
générale suisse, il a très peu théorisé. Mais il avait un
certain charisme, qui l'a fait connaître au-delà des
frontières. Il considérait l'individu dans sa globalité :
corporelle, émotionnelle, mentale. La technique qu'il a
créée rééquilibre les fonctions cérébrales de sensorialité
et de pensée. La méthode est active, elle demande la
participation du patient, elle est concrète, elle propose
des exercices réintégrable dans la vie de tous les jours.
Vittoz
est mort avant les premières publications de Winnicott. Et
pourtant… Et pourtant… sa technique, qu'il
voulait basée sur le réel, stimule
l'imaginaire…
Pour cela, le thérapeute Vittoz est parfois proche de
la
"mère suffisant bonne" de Winnicott. Avec des nuances:
Il pratique le
holding: il
ne prend pas le patient dans ses bras, mais c'est son divan
qui le porte. Parce que le lieu où il reçoit le patient est
rassurant, parce qu'il l'invite à sentir les contacts avec
le divan, parce que sa voix, tranquille et tonique, forme
une enveloppe sonore, la personne peut se sentir contenue;
protégée des expériences angoissantes. Ces sensations de
soutien sont à la base de l'intégration du moi; elles
permettront aussi que se modifie (peut-être se poétise) le
discours concret du relaxant.
La mère
object presenting de Winnicott propose à l'enfant l'objet dont
il a besoin (sein, couches) comme si son
bébé l'avait créé.
Le psychothérapeute
n'est pas la mère qui présente le sein, qui change le bébé,
mais il propose une redécouverte des sensations vitales,
permettant à la personne qui, pour une raison ou une autre,
a été coupée de ses sensations, de les retrouver.
Parmi les expériences vécues, nous mettons, par exemple, un
caillou dans la main du patient . "Vous ne cherchez ni à
reconnaître, ni à juger, laissez venir vos
sensations… " Nous ne proposons pas l'objet dont le
patient a besoin, comme la mère qui donne le sein, mais
nous proposons une découverte du monde . Il s'agit d'objets
à sentir (par la peau, par le nez), à regarder, de sons à
entendre…La posture allongée permet que le senti ne
laisse pas forcément la place à un discours banal. Les
sensations proposées sont celles liées aux cinq sens
(sensations qui viennent de l'extérieur) mais aussi les
sensations du corps, immobile comme en mouvement.
Sensations posturales, sensations de l'équilibration. Et,
bien sûr, la peau, qui est la frontière entre le dehors et
le dedans…
Plus tard, le patient pourra parfois aller de la simple
sensation à la redécouverte de l'objet-symbole…
objet lié à une émotion … L'exercice, qui peut
apaiser, est en lui-même un objet transitionnel, il permet
de lutter contre l'angoisse, et ouvre le patient au monde.
Le transfert, parce que la relation part du corps, permet
souvent, en début de cure, une identification maternelle
primaire. Le relaxologue agit comme objet anaclitique.
C'est dans la suite de la cure, parce qu'il deviendra une
mère seulement suffisamment bonne, que le patient, à partir
de ses frustrations, à partir de sa découverte propre du
monde, parce qu'il sera capable d'utiliser les exercices,
d'en inventer, se détachera insensiblement de son
thérapeute, découvrira ses propres capacités à se faire du
bien, à imaginer. D'autres objets transitionnels pourront
faire irruption dans sa vie, choisis par lui, ouvrant son
champ culturel, stimulant son imaginaire. Souvent, nos
patients nous disent, après quelques mois : "Depuis que je
viens vous voir, je visite à nouveau des expositions", ou
"Je lis davantage", et mieux… "J 'écoute plus
souvent de la musique…, Je me suis remis à
bricoler", "J'écris de la poésie… Je chante, ce que
j'avais complètement arrêté de faire… "
Le
handling ,
chez le bébé, lui permet de se sentir rassuré par sa mère.
Il peut nous arriver de toucher un patient, si nous pensons
qu'il ne nous sentira pas intrusif ( tout dépend de
l'histoire du patient, du moment de la thérapie, de la
forme du transfert , et aussi de notre état à ce moment).
Si nous ne le faisons pas, c'est notre voix qui le touche.
Mais souvent nous lui proposons de se toucher lui-même.
C'est ce qui se passe lorsque nous l'invitons à passer une
balle de mousse sur son corps, pour en dessiner la
silhouette, ou lors d'un auto-massage du visage; c'est une
expérience très narcissisante, liée d'ailleurs à la
stimulation de régions particulièrement sensibles à la
période archaïque.
Chaque fois
que nous faisons vivre une expérience, c'est le patient qui
fait le travail, ou qui le refuse. Son langage peut être
totalement inexpressif, collé à la réalité. Mais par la
répétition des expériences, parce que le transfert sur la
"bonne mère" sera installé, parce que la confiance en soi
apparaîtra si peu que ce soit, le vocabulaire prendra des
couleurs… ouvrant le chemin vers l'imaginaire. Les
mots simples viennent d'abord (c'est doux, c'est froid,
j'aime cette odeur, cette musique m'apaise … ou me
dérange…); les termes deviennent autres,
s'enrichissent, font image ("ça me rappelle un paysage, une
couleur"…) Nous nous éloignons petit à petit du "
banal".
A
partir de la réceptivité aux sensations, le préconscient
peut être sollicité. Des souvenirs relativement récents,
dont certains pourraient être des souvenirs écrans, se
manifestent.
Pour Jean-Louis, qui arrivait pour une troisième séance, je
prévoyais simplement de lui faire découvrir le vécu
objectif de sensations simples. Après qu'il ait fermé les
yeux, je l'ai invité à toucher du sable. "Vous ne cherchez
pas à reconnaître, vous accueillez les différentes
sensations. "
Dans l'échange qui suit, il raconte : "Une image est venue
tout de suite. J'avais cinq ans environ, j'étais chez ma
nourrice. Je jouais avec du sable, tout seul. Les adultes
n'étaient pas trop loin, cela me rassurait, j'étais heureux
d'être seul. Mais, ajouta cet homme qui n'avait aucune
culture analytique, j'ai peur de ce qu'il y a derrière".
J'ai pensé bien sûr qu'il venait de retrouver un
souvenir-écran. Jean-Louis était d'une famille juive, il
avait quatre ans en 1943, il a été placé chez une nourrice
tandis que ses parents se cachaient.
Ce n'était pas un malade psychosomatique grave, plutôt
quelqu'un que les homéopathes appellent un "patraque"; mais
il était venu à cause de petits problèmes somatiques, au
niveau de la peau, et aussi parce que, chez ce graphiste,
la créativité était bloquée depuis un certain temps. Pour
lui, plusieurs mois plus tard, à la suite d'une relaxation,
l'écran se levait, et Jean-Louis retrouvait d'autres
souvenirs : le couple nourricier, qui était très gentil
avec lui, lui a donné à voir des scènes de violence, le
mari étant alcoolique. Se mêlaient à cela la séparation
d'avec ses parents, la peur…Ces souvenirs ont pu
revenir, bien que je n'aie pas cherché à les solliciter.
Nous avons été très intéressées par la lecture, dans "Quand
le corps prend la relève", de Jean-Benjamin Stora, de "La
face cachée de Dora". Les patients que nous recevons nous
présentent souvent "une ellipse à double foyer":
névrotique, psychosomatique.
Lorsque nous sollicitons l'accueil de sensations
extéroceptives, c'est le corps qui est touché : la main qui
reçoit le caillou, le nez qui découvre l'odeur,
l'œil, l'oreille, la langue et le palais qui
goûtent… Nous proposons parfois ce travail en face à
face, parfois lorsque le patient est sur le divan de
relaxation…lieu où , pensons-nous, la pensée
opératoire est moins en éveil…
Nous travaillons sur le corps en mouvement, sur le corps
immobile. Nous proposerons de vivre
certaines expériences dans la position assise, mais aussi
tout un travail debout : se sentir debout, les pieds ancrés
sur le sol, prendre conscience de son corps. Nous insistons
sur la hauteur, sur la colonne vertébrale, "colonne de
vie", dans la recherche de sensations de solidité, d'unité,
de densité.
Se sentir marcher permet de stimuler la confiance en soi.
Mais aussi de se sentir quitter, ou aller vers, un lieu ou
une personne … Nous sommes à un moment de notre
projet où nous proposons ce que nous appelons des actes
conscients… Il s'agit encore d'une conscience des
sensations, mais dans l'action. Décision "Je vais marcher
de la fenètre à la porte en sentant mon corps, en entendant
le bruit de mes pas, en étant à l'écoute de ma
respiration"… Actes simples. Si simples? Ecoutons le
philosophe André Comte-Sponville, qui nous dit : "Puisque
marcher, parler et les autres mouvements volontaires
semblables dépendent toujours d'une pensée antécédente du
"vers où", du "par où", et du "quoi", il est évident que
l'imagination est le premier commencement interne de tout
mouvement volontaire". Effectivement, si l'acte conscient
consiste à mettre au premier plan la réceptivité aux
sensations, c'est bien la pensée, la décision, le désir qui
nous mettent en marche. Mais le désir, qui nous meut, ne
pourrait pas exister sans imaginaire.
Lorsque le patient, et parfois le thérapeute, marchent dans
la pièce, cela permet de reprendre symboliquement les
allers et retours de rapprochement et d'éloignement mental
qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement
psychique du patient.
Il nous arrive de proposer une concentration sur un point
du corps. "Vous portez toute votre attention sur la paume
de votre main droite, vous prolongez cette
attention… puis vous revenez à l'entièreté de votre
corps." Ce corps aura peut-être été amené à la séance comme
un objet, parfois dans une tonicité incontrôlée; peu à peu,
il sera admis comme un lieu d'action, un lieu de vie et, un
jour… un lieu habité, dans le plaisir ou dans la
douleur. Et les gestes prennent sens.
Nous rencontrons des problèmes avec les personnes qui nous
disent "Je ne sens pas mon corps", ce que nous traduisons
souvent par "Je n'aime pas mon corps", ou "il n'existe que
comme une machine". Nous pouvons utiliser les techniques
classiques (faire travailler une moitié du corps, ce qui
amène à sentir une sorte de déséquilibre, mais au moins à
sentir… Nous mettons dans une main un glaçon, dans
l'autre un œuf tiède: la personne se surprend à
sentir. Et par la répétition elle découvrira que ce corps,
qu'elle n'avait probablement pas envie de sentir, ou
qu'elle avait peur de sentir, est bien vivant.
Nous invitons parfois les relaxants à se servir de la pomme
de douche, chez eux, pour tracer la silhouette de leur
corps. Pour insister sur une zone tendue, ou endormie.
Cette relation avec la pomme de douche a intéressé Marc. Né
à cinq mois, cet homme de 40 ans est handicapé physique.
Sous la douche, il a parcouru des lieux de son corps qui
étaient tendus. Il insistait sur la région lombaire, sur la
nuque… puis machinalement il tourna autour de son
nombril. Cela provoqua une douleur très forte, comme
lorsqu'on appuie sur un furoncle pour en extraire le pus.
Je ne lui ai pas dit mon association. Mais lorsqu'il me
parla de la naissance de sa petite sœur (née dans le
taxi qui emmenait la mère à la maternité, à six mois de
gestation), il m'a semblé que mon association était juste.
Mes questions lui ont permis de se poser des questions sur
ce moment. Il est probable que sa mère avait des problèmes
de bassin, de périnée, ou neurologiques… provoquant
une expulsion violente, qui pouvait avoir été vécue comme
un rejet.
Le simple fait d'avoir vécu cette expérience et d'en parler
a fait du bien à Marc. Cependant, dans un deuxième temps,
il était important qu'il puisse reprocher à sa mère de l'
"avoir mal fait". Cela a été long : sa mère était morte, et
il a fallu qu'il puisse laisser sortir son agressivité sans
culpabiliser. Et c'est passé aussi par le transfert : la
"très bonne mère" que j'avais été a reçu de nombreux
reproches, durant plusieurs mois. Reproches
libérateurs…
La respiration consciente, spontanée, accompagne tous les
exercices corporels. Et en elle-même, elle participe de la
conscience de la pulsion de vie. Il s'agit d'une fonction
si habituelle que souvent nous respirons mal. Et notre vie
se déroule entre le premier souffle du bébé et le dernier
souffle. Il ne s'agit pas d'induire des exercices
sophistiqués, mais de faire découvrir que la respiration se
fait toute seule, comme dans le sommeil… et que, si
elle est circonscrite dans des parties du corps bien
précises, elle concerne le corps tout entier …
Revenons à d'autres actes
conscients vittoziens : il est intéressant de faire
"préparer" les actes conscients. Corinne décide que demain,
elle se fera du bien, elle prendra un bain parfumé. La
décision se fera en sollicitant le désir qui est en elle.
"J'ai besoin d'un temps pour moi. Respirer un parfum me
relaxe". Et pour faciliter l'accomplissement de ce désir,
nous lui proposons, en séance, une image mentale : "Vous
vous voyez, vous vous sentez, dans la salle de bain, vous
entendez le bruit de l'eau, vous sentez la
chaleur…l'odeur … Vous repérez où la
sensation de plaisir résonne dans votre corps". Pour celui
qui n'est pas facilement en relation avec son imaginaire,
il s'agit d'une image généralement facile à
visualiser… Parce que nous faisons appel aux autres
sens (odorat, ouie, vue) le corps entier est sollicité. Et,
parce la sensation de plaisir est ressentie dans le corps,
il y a lien psyché soma.
Le docteur
Vittoz faisait travailler ses patients sur "les appels
d'état". Il proposait à la personne de revivre un moment de
calme, puis un moment d'énergie, en image mentale. Lorsque
ces images viennent facilement, nous proposons des images
plus diversifiées. Par exemple la visualisation d' une
couleur, d'un objet, d'un paysage… plus tard d'un
souvenir heureux, qui résonne dans le corps… Peu à
peu le patient choisit lui-même (en tenant compte du fait
qu'une image mentale est visuelle, mais aussi auditive,
olfactive, kinesthésique…); il en parle, et nous
sommes attentifs à repérer l'évolution de son imaginaire,
de son langage… Ce travail nous permet de voir dans
quelle mesure la personne devient capable de se connecter à
son imaginaire, comment son vocabulaire indique qu'elle se
détache de la pensée opératoire. Nous découvrons si elle
peut, dans l'évolution de sa cure, sentir ses émotions dans
son corps, mettre des mots sur son état.
Les actes conscients permettent aussi l'expression de
l'agressivité :
Lire un texte à haute voix permet de dire cette
agressivité, quand elle concerne quelqu'un, sans risquer de
le détruire… Dire à la personne, en image mentale,
ce qu'on lui reproche… en n'hésitant pas à parler
fort, voire à crier … Et le thérapeute a précisé
qu'il n'aura aucun jugement, ni sur celui qui parle, qui
agresse, ni sur les personnes agressées…
En début de cure, la relaxation était surtout un moyen de
détente, de lâcher prise. Elle le reste, bien sûr. Mais au
cours de relaxations longues, profondes, un lien se fait
entre le senti, le ressenti: les sentiments, l'émotion
peuvent être nommés, le langage devient plus imagé, étayant
l'entrée dans la fonction symbolique.
Le relaxateur est toujours perçu comme une bonne mère, un
pare-excitation. De plus en plus, il est aussi un médiateur
de la pulsion de vie. Sa voix entoure toujours le patient
d'une enveloppe sonore. Mais le besoin que le relaxant en a
devient moins prégnant. Il vit les relaxations par
lui-même, et les reprend chez lui sans appréhension.
Dans la douleur, dans le plaisir, les sensations
proprioceptives, musculaires et tendineuses forment l'
"image somesthésique" du corps, immobile ou en mouvement.
Schéma corporel présent, senti: la réduction du clivage
psyché-soma est facilitée.
Qu'en est-il de l'image inconsciente du corps?
S'agissant de l'Image du corps,
Françoise Dolto précise : "Le corps matériel, lieu du sujet
conscient, à tout instant, le spatialise et le temporalise.
L'image du corps, au contraire, est hors lieu et hors
temps, pur imaginaire et expression des investissements de
la libido. "
Parce que schéma corporel et image du corps sont
sollicités, un lien se fait. Le schéma corporel mieux
senti, plus conscient, permettra à l'Image du corps, pur
imaginaire, de se restructurer.
Nous savons que les ruptures du lien précoce avec la mère,
parce qu'elles empêchent la structuration de la première
image du corps, atteignent le narcissisme fondamental. Et
c'est la naissance de ce narcissisme qui est comme rejouée
dans le transfert au moment particulier de la cure où le
relaxologue-bonne-mère est aussi une mère qui a donné à son
enfant les outils pour vivre ses propres sensations,
construire ses propres images.
Parce que le patient va ressentir plus précisément ses
émotions, va les nommer, se met en route (je cite Antonio
Damasio) "la juxtaposition d'une image du corps proprement
dit avec une image de quelque chose d'autre, comme l'
"image visuelle d'un visage ou l'image auditive d'une
mélodie." Pour lui, en effet, "les marqueurs somatiques
sont l'association d'une perception d'une sensation
déplaisante ou agréable corporelle lors d'une prise de
décision à une image particulière."
En relaxation psychosensorielle, nous travaillons d'abord
sur le conscient. Nommer le senti et le ressenti peut
donner accès au préconscient. En outre le travail sur les
sensations, sur la conscience du corps, l'accès aux images,
permet ce que le psychanalyste J.-D. Nasio appelle "un
assouplissement de l'inconscient". Parfois, en fonction du
temps, de l'évolution du transfert, le relaxant a accès à
cet inconscient. Cela se fait sans risques si le
thérapeute, lorsqu'il s'agit de patients fragiles, veille à
ne pas vouloir à la place du patient.
Ce cheminement peut être aidé par le fait que si, en début
de cure, nous veillons à ce que nos silences ne soient pas
trop longs, surtout pas angoissants, à ce qu'ils ne rompent
pas le lien de la personne à notre voix, dans un second
temps, lorsque nous sentons le relaxant plus solide, nous
lui proposons des temps plus longs, des silences pleins,
porteurs, au cours desquels il pourra être confronté aux
profondeurs de son être. Il faut que nous puissions, dans
ces silences, être centrés sur le couple que nous formons
avec notre patient. C'est à ce prix qu'il pourra aller de
la sensation à l'imaginaire, parfois grâce à la
communication d'inconscient à inconscient.
L'Image du corps sera restructurée si l'imaginaire a
commencé à se révéler, et parce que nous nommons les
différents lieux du schéma corporel avec un langage imagé.
Le relaxateur, parce qu'il propose des mots porteurs
d'images, permettra de faire renaître ou de développer la
fonction imaginaire et le patient, à partir des sensations
levées, enrichira son propre langage.
Dans la séance, et aussi entre les séances, les sensations
de plaisir, les sensations de douleur pourront être reliées
au plaisir et à la douleur affectifs.
Le SELF commence à devenir plus vrai, plus vivant. Le lien
entre le corps et la psyché continue à se faire. …
Si le relaxant est en relation vraie avec son corps, il le
sera avec son symptôme. Ce symptôme "bête" pourra commencer
à devenir intelligent dans la mesure où le travail
symbolique aura libéré les images et les mots. Libéré le
désir .
L'écoute du corps immobile ou
dans un mouvement lent permet un travail subtil, en
relation avec le noyau corporel de la personne. Cet
"infracassable noyau" qui, pour le poète André Breton est
le centre psychique de l'être humain, n'est pas forcément
le centre de gravité. Il s'agit de ce qu'une personne
ressent, à un moment donné, comme son centre. Un lieu
corporel solide et rassurant, qui prend un sens symbolique.
Il peut se modifier en fonction de l'état affectif de la
personne.
Nous insistons sur la peau, qui
est à la fois un lien avec le monde (l'air, les vêtements)
et le contenant du corps. Puis "Votre peau a une autre
face, en relation avec l'espace intérieur de votre corps".
Votre enveloppe vous permet de sentir votre unité". Il ne
s'agit pas d'anatomie, du derme et de l'épiderme, mais de
la peau sentie, avec sa face externe en relation avec le
monde, et sa face interne, en relation avec l'espace
intérieur du corps. La peau qui est facteur d'unité. C'est
une préparation à la découverte, ou redécouverte, du
Moi-Peau dont parle Didier Anzieu : l'instauration du
Moi-Peau répond au besoin d'une enveloppe narcissique et
assure à l'appareil psychique la certitude et la constance
d'un bien-être de base. Ce Moi-Peau, en relation avec le
Moi-Noyau, révèle la confiance dans l'Unité de l'être. Bien
entendu, ce terme de noyau n'est pas utilisé dans le même
sens que ce qu'en dit Abraham. Il s'agit de ce qui est
ressenti comme centre corporel, même si le centre corporel
est lié au moi freudien.
La solidification du schéma
corporel senti se fait, entre autres, dans la relation
entre ces deux entités : la peau, le centre. L'écorce et le
noyau. L'histoire de Virginia Woolf nous le montre bien.
Cette femme qui écrivait : "Je n'ai pas de contours. Je
n'ai que mon inviolable centre." C'est parce que ce centre
n'avait pas de contenant qu'elle était si fragile.
A l'inverse, certaines personnes sensibles, vivantes au
niveau de la peau - ce qui de leur corps est en relation
avec le monde, les autres - ont du mal à sentir, à
valoriser, leur espace intérieur. Elles ne sont pas
centrées, et vont dans la vie comme des ballons chargés de
vent qui ne peuvent pas peser sur la terre qui les porte.
Dans l'un et l'autre cas, il
sera important d'introduire une découverte dialectique du
corps, dans un va-et-vient entre l'écorce et le centre. La
réceptivité extéroceptive, si la sensation peut être liée à
l'image, permettra de reconstruire peu à peu une enveloppe
solide. La découverte de l'espace intérieur, avec tous les
exercices de respiration, de concentration sur l'unité, de
circulation d'énergie, puis la visualisation d'images
mentales, influera sur le Moi-noyau. Solide, vivant. Imagé.
Ce va-et-vient de l'espace du dehors à l'espace du dedans
va initier une autonomisation du sujet. La réceptivité à
notre enveloppe prend de l'importance. C'est la peau qui
nous contient, qui nous limite. Elle garde en mémoire les
premières sensations de notre arrivée au monde. C'est elle
qui est d'abord vivante uniquement dans les premières
relations fusionnelles avec la mère et qui, sensation après
sensation, se constitue pour permettre la reconnaissance de
notre moi face au non-moi. … Espace de contenance,
espace de relation, espace de liberté. Quant au moi-noyau,
il nous constitue dans notre unité, notre solidité. C'est
en lui et par lui que nous mettons en place la confiance
que nous avons en notre capacité d'être.
Cela ne peut pas se
faire si l'imaginaire est totalement déficient, mais un
imaginaire naissant, ou renaissant, peut surgir.
Quelques mots sur la fin de la
cure : il n'est pas question de faire revivre à un malade
psychosomatique un abandon. Ce que nous faisons souvent - y
compris avec d'autres patients fragiles - c'est espacer les
séances - en attendant que ce soit le patient lui-même qui
demande à partir. En travaillant, bien sûr, dans notre
supervision, sur le désir - ou la peur - qu'il parte.
Ce que nous espérons, lorsque nous recevons un malade
psychosomatique, c'est de pouvoir permettre une
réorganisation de l'énergie.
Qu'il se sente capable
d'utiliser l'agressivité qui s'était tournée vers son corps
pour sentir sa force, au niveau du corps comme de la
psyché, pour laisser libre court à son imaginaire, pour
avoir accès à son désir, et à la force qui en découle. Il
sera alors capable de dire les affects, issus de ce désir,
sans risquer de détruire l'autre…sans courir le
risque de se détruire.
Il aura quitté "le banal", le langage opératoire,
pour se sentir
sentant - ressentant, pleinement lui.
Il pourra trouver le sens, pour lui, de son symptôme
____________________________________________________________________