Le transfert dans la psychothérapie Vittoz


Ce texte est écrit particulièrement pour les étudiants
qui se destinent à la psychothérapie de Vittoz,
et à tous les Psychothérapeutes qui la transmettent,
mais il intéresse également tous les thérapeutes
à médiation corporelle.
Les lecteurs de ce texte sont invités à réagir,
pour apporter leurs questions,
mais aussi faire part de leur expérience propre.


L’être humain a besoin de retrouver
à certains moments de sa vie
soit un objet de maternage soit un objet idéalisé.Dans l’un et l’autre cas, il y a toujours création d’un coupleoù le sujet est soumis à l’objet (…)On pourrait presque parler
de fantasme originaire de dépendance
comme on parle de fantasme originaire intra-utérin.La meilleure façon d’être dépendant
et soumis est d’idéaliser l’objet.
On va projeter sur lui soit
son propre narcissisme, c’est-à-dire son Moi idéal ,
soit les idéaux parentaux créés, c’est-à-dire son idéal du moi.
(Yves Ranty,
Le corps en psychothérapie de relaxation, L’Harmattan)

Partons, si vous le voulez bien, du sens courant de ce terme de transfert : transférer, c'est d'abord faire passer d'un lieu dans un autre avec, dès le XV° siècle, un sens juridique : transmettre un bien, un droit… C'est depuis la fin du XIX° siècle qu'il est utilisé dans le domaine abstrait des sentiments.

Le transfert n'est pas réservé à la psychanalyse, à la psychothérapie : il s'agit d'une disposition naturelle, d'un besoin relationnel.
Le psychanalyste Laurent Yzèbe commençait une conférence sur le transfert par ces mots : " La plupart d’entre vous me connaissent peu ou pas du tout, et pourtant vous vous êtes déplacés aujourd’hui pour venir écouter ce que j’ai à dire. C’est à dire que d’emblée vous me faites confiance, vous m’avez mis en place d’un " sujet supposé savoir ". Je suis supposé savoir des choses et vous les transmettre. Réciproquement, vous vous sentez en manque d’informations, de connaissances, vous êtes " manquants ". Mais pour que ce savoir se transmette, il faut que le courant passe".

Il n'y a qu'à voir comment les enfants réagissent, par exemple avec leurs enseignants. Bien souvent, "J'aime mon prof de maths, je suis bon en maths", ou "je ne pourrai jamais apprendre l'anglais avec cette femme que je déteste"… Ce qui démontre la subtilité du terme " savoir " : la transmission d’un savoir va au-delà de la connaissance intellectuelle : elle se fait, aussi, par la relation.

Freud le savait, qui écrivait en 1925: "Il ne faut pas croire que l'analyse fait le transfert et que celui-ci ne se produise que dans l'analyse". Le transfert en analyse est défini très précisément. Il est la répétition, projetée sur l'analyste, de faits survenus pendant l'enfance; tout individu "possède une manière d'être personnelle, déterminée, de vivre sa vie amoureuse, c'est-à-dire que sa façon d'aimer est soumise à certaines conditions, qu'il y satisfait certaines pulsions et qu'il se pose certains buts. On obtient ainsi une sorte de cliché (quelquefois plusieurs), cliché qui, au cours de l’existence, se répète plusieurs fois, se reproduit quand les circonstances extérieures et la nature des objets aimés accessibles le permettent et peuvent, dans une certaine mesure, être modifiés par des impressions ultérieures. (…). Il est ainsi tout à fait normal et compréhensible de voir l'investissement libidinal en état d'attente et tout prêt, comme il l'est chez ceux qui ne sont qu'imparfaitement satisfaits, à se porter sur la personne du médecin" (Freud,
La technique psychanalytique, P.U.F.). Lacan, lui, insiste sur le manque. Vécu dès la perte des enveloppes placentaires, qui deviennent des " objets manquants ". Et cette perte se poursuit par toutes les " castrations symboligènes" étudiées par Françoise Dolto , en particulier dans L'Image inconsciente du corps. C’est par le transfert que se fera la recherche de ces objets perdus. Elle se fait dans la vie (amitié, admiration, amour, mais aussi idéal, recherche, gloire…). Elle se fait dans la thérapie.

Vous le savez, le transfert est le moteur de l'analyse. Mais en Vittoz ? Les techniques sont différentes. Les personnes ne viennent pas chercher le même type de relation. Par le transfert, en Vittoz, le travail se "tricote", son évolution facilite l'évolution de la personne.
Que le patient vienne chez un analyste ou chez un vittozien, il y a demande. Il s’adresse à nous, " censés savoir ", parce qu'il souffre de son manque.
Ceci est la réalité.
Parfois, par le biais des exercices, il attend des recettes. Souvent il vient pour une demande de conseils, la recherche d’une ligne de vie… Le thérapeute Vittoz, pour permettre une relation réellement thérapeutique, n’a pas à répondre. S'il le fait, ce sera avec prudence, après réflexion, et le moins souvent possible: il est important que le patient trouve sa propre réponse. Et puis les idées personnelles du thérapeute sur la morale, le sens de la vie tel qu'il l'entend, n’ont pas à être connues du patient. Plus le patient a d'éléments concernant la vie, les idées de son thérapeute, plus il y a de risques de parasitage du transfert.

Nous proposons des "exercices" (nous disons plutôt des "expériences"), et nous invitons le patient à les reprendre en dehors des séances. Il les refera plus ou moins en fonction de la relation thérapeutique En début de cure, c'est souvent ce type de relation qui prédomine.Vous le savez, comme l'enfant fait ses devoirs pour faire plaisir à son professeur – ou à ses parents – le patient vittozien reprendra parfois les exercices pour plaire à son thérapeute. De ce fait, l'intégration se fera d'autant mieux. Puis peu à peu la personne découvrira que c'est elle-même que cela concerne..
Nous nous adressons au corps . Le relaxant est confronté à la réalité du corps du relaxateur (voix, élocution, regard, odeur, parfois toucher). Le thérapeute met en jeu son propre corps. Et il propose un cadre.
Ce lieu ne sera unificateur que " si le thérapeute n’est pas source de pulsions désorganisatrices mais, au contraire, d’un instinct maternel sécurisant, unificateur dans sa fonction maman – papa – bébé qui est cependant la fonction dyadique car le papa à ce stade est comme une maman "(Yves Ranty
, Le corps en psychothérapie de relaxation, L’Harmattan). Et ceci n'empêchera nullement, à d'autres moments, que se mette en place un transfert négatif.

Le cadre en Vittoz
Nous attendons un patient, pour une première fois. Notre corps occupe l'espace, nous prenons le temps de nous centrer sur nous. Nous nous préparons, ensuite, à être réceptifs à la personne, dès qu'elle passera la porte. Parce que, dans notre thérapie, nous avons travaillé à partir des sensations corporelles, nous serons "en prise" avec l'odeur de la personne, sa silhouette, l'expression de son visage, le ton de sa voix…
Nous lui proposons un temps pour sentir son corps, "au cours duquel l'induction et le toucher posent peu à peu les limites ou les bornes du champ transférentiel" (Jean Marvaud). Nous proposons des expériences. Expériences vécues , le plus souvent, comme des objets transitionnels, où se confrontent, s'enrichissent, l'épreuve de réalité et l'imaginaire. Les sensations éprouvées par le patient son liées à son histoire, actuelle ou ancienne. Et le fait qu'il s'agit du corps nous situe, quel que soit notre sexe, tout au moins en début de cure, du côté de la mère.
Mais le cadre, ce sont aussi les horaires, la ponctualité, le paiement. La distance aussi, d’autant plus que, chez nous, elle varie en fonction du type d’exercices, en fonction surtout de ce que ressent le thérapeute de son propre transfert, et de celui du patient.
Il y a donc aussi une relation à la Loi. Du côté du père. Et ce cadre, à partir de ses limites concrètes, fait partie des moyens d'évolution du patient.

Distance variable
Une des spécificités du Vittoz est la mobilité dans l'espace. La distance variable entre le patient et le thérapeute. En fonction de l'exercice et, pour certains exercices, en fonction de ce que nous pensons juste.
De nombreuses séances se vivent en face à face, les fauteuils légèrement décalés. Comme dans de nombreuses autres thérapies, nous sommes confrontés à la modification qu'installent certains patients, en avançant ou en reculant leur fauteuil. Nous le notons pour nous-mêmes, nous constatons les évolutions, il peut nous arriver d'interroger la personne, parfois de lui proposer, au cours d'une séance, un exercice sur la distance... Mais souvent l'évolution "se fait". A partir du jour où Dorothée a cessé de reculer son fauteuil, la thérapie a changé de forme. Le transfert agressif qu'elle avait envers moi ne s'est pas forcément adouci, mais elle a commencé à entendre que ce n'est pas de moi qu'elle s'éloignait, mais de sa mère. Lorsque nous induisons un exercice en mouvement dans la pièce – comme la marche consciente – nous avons à sentir ce qui pourra permettre à la personne de vivre pleinement ce travail. Souvent en début de cure, nous accompagnons, parfois proches. A d'autres moments, nous restons debout, dans un coin de la pièce, pour laisser un grand espace de liberté. Il peut arriver que nous restions dans notre fauteuil: le patient peut vivre ce moment comme un moment de confiance ou comme un moment d'abandon, en fonction des fantasmes infantiles.
Nous tentons donc de découvrir intuitivement la "meilleure" distance, celle qui transformera cette simple marche en un lieu symbolique, qu'on en parle ou non après. Que la personne parle de bon vécu ou qu'elle soit dans le reproche, elle a transféré sur notre attitude quelque chose d'ancien.
Il nous arrive de faire travailler assis devant une table une personne qui va écrire, dessiner, modeler... Nous sommes généralement proches.
Je me souviens de José. Le jour où nous sommes restés assis côte à côte, devant une table, lui modelant un personnage, il n'a rien dit. Après coup, j'ai pensé que j'aurais pu me lever un moment.
Mais c'est justement cette proximité qui a provoqué un rêve, qu'il me raconta la semaine suivante : nous étions chez mon frère . Cela le gênait d'être là et de m'y trouver. Il parlait de ce frère avec une certaine agressivité. Il a pu me dire et le désir de connaître ma vie, et la jalousie qu'il a éprouvée un jour que, quittant la séance, il a croisé sur le pas de la porte une personne dont il imagina qu'elle faisait partie de mes proches…
Bien sûr, de tels fantasmes existent dans toutes les thérapies. Mais ici, le fantasme a été provoqué par la variation de la distance.
Réalité, imaginaire, symbolique
Dans tous les cas, notre patient est confronté à la réalité de notre corps, de notre voix , de notre regard. Notre divan sera souvent un lieu maternel, qui lui permettra de se sentir rassuré, vivant. Ce lieu de réassurance peut révéler, développer un SELF plus proche de la réalité de la personne. Un SELF libéré d'un trop-plein d' injonctions surmoïques, dévalorisantes, et de leurs dommages.
Il sera aussi , parfois, un lieu de régression. Des images du passé pourront se manifester , l’image du corps se révéler, dans le plaisir, la sécurité, mais aussi dans l’inquiétude, la souffrance…
Le divan sera un lieu de mort, un lieu de vie. Nos paroles, notre présence, seront souvent celles d’une " mère suffisamment bonne ", mais aussi le patient pourra avoir la sensation d’une fausse présence, voire d’une présence hostile. Qu’il en parle ou non, il se sentira rassuré par la bonne mère qu’il recherche, jugé par un père sévère, endormi lourdement ou au contraire excité, parce qu'il retrouvera les messages énigmatiques vécus dans l'enfance lorsqu'il était dans les bras d'un parent angoissé ou dépressif...
C’est dans ce corps à corps que se joue ou non le transfert à médiation corporelle.
Jocelyn a eu une naissance difficile : sa mère en est restée handicapée. Il a beaucoup parlé de sa culpabilité, qui le ne ronge plus. Cependant, la faille narcissique liée à ces difficultés ne me semble pas tout à fait colmatée.
Un jour de séance, il se trouve que je suis dans une grande douleur physique . Je lui propose une relaxation. Jocelyn a l’habitude de faire les relaxations allongé sur la moquette. Cette relaxation était bonne, aussi, pour moi. Je l’induis longuement, insistant sur la détente, sur " déposer ce qui m’encombre ". … A la fin, je propose, comme je le fais souvent : " Prolongez cette relation intime avec vous aussi longtemps que vous le sentez bon…Puis vous ferez votre reprise à votre rythme." Jocelyn est resté un long temps sur le dos, puis s’est roulé sur le côté, en position fœtale.
Un silence plein, pendant lequel je me sentais comme la mère infirme face au bébé qu’elle venait de mettre au monde. Un silence qui s'est prolongé après l’installation de Jocelyn dans le fauteuil… Mais je pense qu’il s’est passé ce jour là quelque chose de très fort…Avec le jeu de la mémoire, nos deux corps en résonnance.. . Il ne m’a pas semblé nécessaire de proposer un temps de parole (ai-je eu raison?).
Plusieurs mois après, à la fin d’une autre relaxation, profonde et avec de longs silences, Jocelyn est encore resté un long temps, face à lui-même, en position fœtale. Il a prolongé le silence avant de se reprendre, puis il s’est demandé ce qu’il avait à comprendre de ce qu’il venait de vivre.

Le regard du thérapeute
Lorsqu'elle s'étend pour une relaxation, la personne a les yeux fermés, sachant que notre regard l'accompagne.
Juliette parle beaucoup du regard de ses professeurs, de ses camarades. Elle se sent jugée. Elle se sent d'ailleurs mal à l'aise face à mon regard, mais bien plus encore lorsqu'elle se relaxe : elle a les yeux fermés, tandis que je la regarde. Son émotion est telle qu'il me semblerait inopportun de lui demander à quoi cela la renvoie. Un jour, je lui propose une relaxation au cours de laquelle je fermerais les yeux. Je termine en l'invitant à me voir, en image mentale, dans le fauteuil. Elle visualise alors le fauteuil : il est vide !
Nous avons mis en route tout un travail sur le regard, le sien : accueillir visuellement de grandes feuilles de couleurs variées; marcher dans la pièce en laissant "venir" formes et couleurs, lumière, sans interprétation. Puis je l'ai invitée à entrer en relation avec son image dans une glace en pied. Devant cette nouvelle difficulté, elle a pu dire à quel point le regard de son père l'avait dévalorisée quand elle était enfant : ce père qui semblait ne pas entendre qu'elle était première en classe pour le séduire, et qui ne soulignait que ses manques…Juliette a "ramené" son père dans la séance, à partir de souvenirs anciens, mais grâce à un détour par le regard de la thérapeute.

Le transfert ponctuel.
J.D. Nasio affirme que la manifestation du Surmoi est un phénomène psychique auditif. Et parfois c'est la voix du thérapeute qui fait résonner les injonctions du Surmoi. Bien sûr, la voix n'a pas la même résonance dans le cadre analytique (distance maintenue, personne qui parle sans être vue). Le transfert " prendra " différemment.Bien souvent, j'ai entendu : "Comme vous me l'aviez conseillé, j'ai fait telle chose". "Vous m'aviez dit que je ne devais plus…" alors que je m'étais bien gardée d'intervenir. Dans ce cas, le thérapeute doit chercher à savoir s'il est passé quelque chose de son désir que le patient agisse comme il le souhaiterait, et il travaillera sur son propre inconscient; mais souvent il arrive que ces injonctions soient la manifestation du Surmoi de la personne. Peut-être l’un et l’autre. Et c’est bien une des raisons de la nécessité de la supervision.
Le psychiatre Jean Marvaud a écrit : "En relaxation, le contre-transfert se joue au niveau des sensations éprouvées par le thérapeute". C'est parce que notre formation est très liée à notre thérapie, qui est psycho-corporelle, que cette utilisation peut se faire. En fonction de ce que nous sentons, nous ressentons, face à un patient en relaxation, nous entendons parfois ce qu'il vit; parce notre propre travail nous a fait évoluer de la réceptivité au corps réel à ce qu'il en est du corps imaginaire; nous serons plus aptes à recevoir ce qu'il en est du corps réel, du corps symbolique, du corps imaginaire de notre patient. Ce corps imaginaire, il revient souvent par des images, des dessins, des modelages, comme nous avons pu le rencontrer au cours de notre échange...
Mais aussi le patient reçoit quelque chose de notre compréhension, de notre vitalité. Parce que, dans votre propre thérapie, un travail a pu se faire sur l’évolution de votre narcissisme secondaire, vous permettrez cette évolution à vos patients.
Posons-nous la question : " Qu’est-ce qui est de moi ? Qu’est-ce qui est du patient ?L'ambiguïté, parfois, de la demande
Nous ne sommes pas psychanalystes. Notre patient le sait. La difficulté consiste à déterminer , à travers la première demande manifeste, ce qu’il en est de sa demande latente. C’est ainsi que, dans certains cas, la relation n’ira pas plus loin que celle d’une personne avec son kiné. C’est ce qui s’est passé avec Joseph dont je vous ai parlé il y a quelques temps.
Parfois se produira un transfert " ponctuel " , celui que le patient va développer à l’occasion d’un fait particulier ou d’un événement qui lui donnera l’occasion de s’exprimer . Je pense à Guy qui avait perdu sa mère à Pâques, quelques années avant la thérapie. Huit mois après le début des séances, sa thérapeute tomba malade et dut arrêter de le recevoir, justement au moment des " fêtes " de Pâques. Guy a dit, au moment de la reprise des séances, comme il s’était senti abandonné. Il put exprimer toute son agressivité... et comprendre de quoi il s'agissait…
Parce qu’il avait l’impression que son thérapeute était fatigué, Louis, qui avait tendance à demander de plus en plus de maternage, comme pour ne pas avoir à quitter son thérapeute " bonne mère ", a découvert qu’il était rassuré de ne pas se trouver devant un être tout-puissant. " Je découvre que vous êtes fragile. Cela me rassure ". C’est à partir de ce moment qu’il a pu trouver la distance évolutive qui lui a permis, quelques mois plus tard, de quitter son thérapeute dont il avait découvert qu'il n'était pas tout-puissant.
En Vittoz, une des difficultés – et c’est aussi une richesse – vient de la diversité de nos interventions, enseignement d’une technique et écoute psychothérapique. Nous aurons à apprécier le plus justement possible la véritable demande du patient. Parfois il nous quittera sans être entré dans une remise en question qui lui fait peur. La pratique de l'exercice Vittoz, s'il a été vécu en vérité, et ce qui se sera fait, consciemment ou non, d'un transfert, lui permettront de changer; il arrive que nous ayons l'impression de préparer le travail qui sera fait avec un autre thérapeute, après un temps de maturation. Parfois aussi, la personne reviendra nous voir avec une demande plus précise, comme si le temps de maturation avait permis à ses défenses de s'assouplir.

Le transfert du thérapeute
De plus en plus souvent, les analystes récusent le terme de contre-transfert. Il est en effet restrictif : " Le contre-transfert n’est en fait que le transfert du thérapeute face au transfert du patient " (Laurent Yzèbe). Et il nous semble que c’est encore plus vrai dans les thérapies à médiation corporelle. Avant même le début de la cure, se mettra en place , dans le cabinet du thérapeute, un espace unique pour chaque patient. Il se construira à partir des sensations du thérapeute (parfois déjà lors de l’écoute de la voix , au téléphone, pour la demande d’un rendez-vous). Il se fera dès la première rencontre : quelle demande, dite sur quel ton, quelle attitude corporelle ? Comment le corps du thérapeute réagit-il à toutes ces informations ? Est-il influencé par l’image de la personne qui lui adresse le patient ?
Au cours de sa formation personnelle, le thérapeute a découvert sa tendance à projeter sur un autre les sentiments qu’il a toujours répétés au cours de sa vie. En thérapie, il aura à en tenir compte : " Cette patiente, elle me rappelle ma mère, celui-ci mon fils, ou cet être qui m’a tant fait souffrir"…
Il découvre aussi ce qui est provoqué par le transfert du patient : " Comme je suis heureux de l’aider ... alors que je n’ai pas pu guérir mon père… " " J’ai peur que, comme ma fille, elle n’arrête ses études… " ou " Je souffre de son agressivité "( dans ce cas, si je n’y prends garde, j’empêcherai le patient de découvrir qui il agresse, et de se libérer d’un pan de son histoire).
Il y a comme une partie de tennis, le jeu étant apparemment mené à tour de rôle par l’une ou l’autre personne. Mais l’un des deux joueurs doit être particulièrement attentif à ce qui se passe.
Il est donc nécessaire de poursuivre un travail régulier avec un superviseur, avec une autre oreille. C’est lui qui, par ses questions, nous permet de découvrir les " mélanges " entre ce qui se passe chez le patient et chez nous. Il le fera à partir de ce que nous disons. Il le fera à partir de ce que dit notre corps, nos intonations, nos émotions. Il ne nous donnera pas les clés, mais il nous amènera à les trouver…
Déjà, en séance, nous sommes à l’écoute de notre corps. Relisez " L’enfant du miroir " et les pages dans lesquelles Françoise Dolto et J.D. Nasio analysent le sommeil du psychanalyste, ou son ennui…
Je me souviens de Josiane : elle était à la limite de la paranoïa . Le Vittoz, par la facilitation du contact avec le réel, l’aidait un peu à vivre. Je lui avais demandé de se faire suivre également pas un psychiatre, toutes les tentatives ont échoué. Elle entendait que ces personnes ne voulaient pas l’écouter, la soigner... Au cours de certaines séances, je devais lutter contre un sommeil dans lequel, plusieurs fois, j’ai cru tomber tout à fait. Il est évident que ce sommeil était une protection. Mais il a fallu du temps pour que je puisse rester réellement éveillée : j’avais découvert que j’avais tendance à m’endormir chaque fois que son angoisse m’enveloppait comme dans une sorte de toile d’araignée...
Je repense aussi à Germain : je le touchais beaucoup, encouragée par le médecin qui me l’avait adressé. Mais je me sentais persécutée par Germain ( réveil téléphonique au milieu de la nuit, stationnement dans ma rue, le week end, pour voir qui je recevais, tentatives de prolonger la séance ou, sur le pas de la porte, refus de partir…)… Un jour, à la fin d’une séance difficile, je l’invite à vivre une posture debout. Je touchai son dos, avec comme but conscient le désir de lui faire sentir son axe, solide…Je me suis très vite rendue compte que ce toucher était très agressif.
La raison de mon attitude était limpide. Mais il m’a fallu beaucoup travailler sur moi pour être capable, la semaine suivante, de lui demander s’il lui arrivait souvent de mettre ses interlocuteurs en posture d’agressivité…Si je ne l’avais pas pu, il y aurait eu un " verrouillage ", un peu comme les non-dits dans les familles.

Un questionnement important : quel superviseur ?
Par facilité (par transfert non résolu ?) les élèves en formation nous demandent une supervision. Sommes-nous la bonne personne ?

OUI, parce que ce début de travail nécessite l’écoute de quelqu’un qui connaît bien le Vittoz. S’il a longuement travaillé, et continue à travailler sur son inconscient, le thérapeute Vittoz pourra mettre en route un repérage du votre transfert sur vos premiers patients.
Il sera rassurant, parce qu’il vous aidera aussi " techniquement ". Si vous arrivez à une séance, par exemple, en disant que Violette a résisté à une marche consciente, il y aura probablement plusieurs pistes :
Vous découvrirez des raisons "techniques": je n'ai pas utilisé les termes qui convenaient, j'ai été trop vite – ou trop lentement – j'ai laissé trop de silence, ou pas assez... Je n'avais pas pris le temps d'installer ma patiente... Etait-ce le moment pour cet exercice ? Violette était-elle préparée par d'autres expériences ?
Vous vous demanderez si ce refus pourrait être aussi quelque chose de positif (enfin, Violette sait dire non !).
Mais vous vous poserez aussi d'autres questions : Comment étiez-vous ce jour- là? A quel moment de la séance avez-vous posé cet exercice? Comment les mots de Violette, son allure, sa manière de s'installer, ont-ils résonné en vous? Etiez-vous pressé de lui faire vivre ce moment, ou au contraire en aviez-vous peur? Puis vous partirez à la recherche des raisons préconscientes que la présence de la troisième oreille vous aidera à faire remonter. Vous pourrez découvrir que Violette a tel trait de votre mère, que vous vous sentez, face à elle, dans le recommencement d'une difficulté relationnelle… A la fin de la séance, vous vous apercevrez que vous avez, peut être, parlé plus de vous que de Violette. Elle et vous profiterez de cette découverte.
NON, pour plusieurs raisons :
nous fonctionnons en association. Pendant toute la thérapie, votre thérapeute-formateur a maintenu une certaine distance avec vous. Cette distance va se modifier. Vous allez sympathiser, vous allez découvrir la personne autrement, dans un groupe, et ce sont parfois des moments difficiles… Vous allez discuter, passer du temps ensemble, dans l’amitié et parfois dans l’affrontement (rappelez-vous qu'aucun groupe ne progresse sans affrontement).

Une autre raison est la suivante : si, dans vos premiers pas professionnels, vous avez besoin d'être soutenus "techniquement", vous savez que ce n'est pas l'essentiel du travail de supervision. Il sera donc important qu'à un certain moment vous puissiez choisir quelqu'un qui sera uniquement à l'écoute de votre contre-transfert. Il sera, peu à peu, au courant de votre histoire, il vous renverra à vous. Vous aurez à trouver une personne extérieure à notre association – psychanalyste ou psychosomaticien… Vous la choisirez parce que vous la saurez capable de prendre en compte le corps dans sa pratique. Vous viendrez chez elle avec le souci de vos patients, mais aussi avec vos difficultés verbales, vos silences… Sa formation propre est, forcément, en décalage avec la notre et ce décalage lui permettra de vous entendre autrement.

En ce qui concerne la gestion des exercices, vous trouverez dans l'association des groupes de formation permanente dans lesquels vous pourrez continuer à travailler.
EN CONCLUSION, il vous est possible de démarrer cette supervision avec un vittozien enrichi par son travail sur son inconscient. Tant que vous aurez peu de patients, tant que la relation restera distanciée; tant que le transfert sur votre superviseur vittozien restera fort… Un jour, parce qu'un patient vous posera problème, parce que quelque chose changera dans votre relation avec votre thérapeute-superviseur, vous ferez le pas.
Cette exigence de la supervision procède de l'éthique – vous protégez vos patients – mais elle participe aussi de votre formation. Nous le savons, vous aurez à poursuivre votre culture thérapeutique , mais le lieu essentiel sera celui de la supervision.
C'est dans ce lieu que vous découvrirez, encore et encore, que le contre-transfert, en relation avec les sentiments, les émotions du thérapeute, est lié aussi à "ce qu'il ressent des données sensorielles, c'est à dire à tout ce que le patient, dans son vécu de relaxation, origine lui-même chez le relaxateur en cours de cure. C'est cette anticipation de sensations, d'éléments inscrits, refoulés sans doute, qui oriente la cure et en est le moteur"(Jean Marvaud, Revue Française de relaxation psychothérapique).






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