LA FAILLE NARCISSIQUE
Ce texte a été rédigé à la suite de la demande d'élèves en
formation à la pratique de la psychothérapie Vittoz.
Vous le savez (cf. cours de psychologie génétique de
première année), les capacités relationnelles se mettent en
place dès la petite enfance. C'est au cours des six
premiers mois que la relation de l'enfant à sa mère (ou à
l'adulte la représentant) permet de préparer cette capacité
de relation, avec les autres comme avec soi.
Pour mieux
comprendre, rappelons-nous quelques concepts :
Idéal du Moi :
"Modèle de référence du Moi, à la fois substitut du
narcissisme perdu de l'enfance et produit de
l'identification aux figures parentales et à leurs relais
sociaux. La notion d'idéal du moi est un jalon essentiel
dans l'évolution de la pensée freudienne, depuis les
remaniements initiaux de la première topique jusqu'à la
définition du surmoi. "
(E. Roudinesco, M. Plon, Dictionnaire de la
psychanalyse).
L'idéal du moi a pour fonctions l'auto-observation, la
conscience morale.
Moi Idéal : "Idéal
de toute-puissance narcissique forgé sur le modèle du
narcissisme infantile". (J. Laplanche et J.B.
Pontalis, Vocabulaire de la
psychanalyse). Origine : "Je pleure, ma mère
arrive et me nourrit : je suis tout puissant).
Surmoi : conscience morale, formation des
idéaux.
Les exigences de l'Idéal du Moi sont en interaction ou en
opposition avec le Surmoi, créant parfois un sentiment
d'impuissance qui atteint le narcissisme de la personne.
Dans l'installation du narcissisme "primaire", tout se joue
par la réponse de la mère aux attentes du nourrisson :
nourriture, propreté, mais aussi relations corporelles
tactiles, kinesthésiques, auditives, olfactives… ,
par la manière, aussi, dont l'enfant est porté. Tout cela
en fonction de la disponibilité de la mère… et de
son état intérieur… Il est souhaitable qu'il y ait
équilibre entre les soins, la manifestation d'amour, d'une
part, et l'apprentissage de la frustration (la mère
"suffisamment bonne" de Winnicott): c'est ainsi que se met
en place le narcissisme primaire, qui prépare la vie
affective et sexuelle.
La mère Winicottienne, en touchant, en enveloppant, en
ouvrant au monde le bébé, prépare aussi la découverte de la
sexualité. Lorsque cela se passe bien, l'enfant s'empare de
ces moments "pré-sexuels", qui sont comme une
"avant-première" de la libido.
Écoutons
Gérard Bonnet : "C'est d'abord dans les bras de la mère que
se tisse la sexualité : corporelle, physiologique" et, plus
loin : "Freud nous disait : "Lorsqu'on voit un enfant
rassasié quitter le sein en se laissant choir en arrière et
s'endormir, les joues rouges, avec un sourire bienheureux,
on ne peut manquer de dire que cette image reste le
prototype de la satisfaction sexuelle dans l'existence
ultérieure". Et Gérard Bonnet, continuant à se référer à
Freud, ajoute: " Le prototype, sans doute, mais surtout son
fondement premier et irremplaçable." L'objet-mère est objet
anaclitique : celui sur lequel peut se faire l'étayage. Et
l'amour de soi s'enracine dans cette relation.
Mais pour que n'existe pas seulement une "sexualité
animale", il est important que se mette en place ce que
Gérard Bonnet appelle "une poétique corporelle":
"C'est une sexualité de mammifère dans sa forme, ses moyens
d'action, ses voies d'expression, en raison des moyens
auxquels elle a recours, et pourtant elle est radicalement
psychique, spirituelle, ne s'accomplit que grâce à la mise
en jeu d'éléments inconnus, spécifiquement humains,
puissamment refoulés, constamment en action. Concilier ces
deux aspects relève de la quadrature du cercle. D'un côté,
l'image de référence est constituée pas un organe sexuel
pénétrant un orifice sexuel, ou vice versa, et de l'autre
elle s'organise à partir de poussées intérieures
recherchant l'autre pour trouver une issue."
(Bonnet, L'irrésistible pouvoir du
sexe).
C'est ce qui manque, entre autres, lorsqu'il y a faille
narcissique .
Cela ne se fait pas, ou se fait mal, lorsqu'une véritable
relation objectale avec la mère n'a pu se faire. L'objet
libidinal n'est pas senti comme construit.
Le narcissisme primaire se constitue autour de la relation
: si l'amour de soi, ou l'amour d'objet, ne se développent
pas suffisamment, la personne sera perturbée dans tous ses
choix affectifs, que les objets du choix soient les
personnes, soi-même, ou les choix de vie…
Dans tous les cas - nous sommes tous ambivalents - il y a
narcissisme de vie et narcissisme de mort. Les pulsions de
vie sont portées par l'amour du Moi et l'amour du sexe. Les
pulsions de mort c'est cette tendance à la mort qu'il y a
dans le Moi.
Du stade du miroir jusque vers 2 ans et demie, le
narcissisme secondaire s'élabore.
Lorsqu'une faille narcissique s'est mise en place, elle
évolue, en fonction de ce qui se passe à ce moment là, puis
dans la suite de l'évolution de l'enfant. Si l'enfant est
privé d'un étayage parental fort, il aura besoin d'un
environnement stimulant pour se structurer. Pour apprendre
à s'aimer, il faudra qu'il puisse vivre la "sécurité de
base", au cas où elle ne se serait pas mise en place chez
le nourrisson.
En fonction de son évolution, la personne sera plus ou
moins atteinte, parfois proche des états-limites, mais son
état pourra aller jusqu'à la psychose… Proches des
états-limites, mais différents d'eux, les "personnalités
narcissiques" sont apparemment mieux socialisées (souvent
réussite sociale, leaders…).
Ils auront, surtout, des problèmes affectifs (froideur,
agressivité, même si elle est masquée). Une évolution
pourra se faire vers la perversion (perversion morale,
perversion sexuelle, perversion fantasmée…); ce qui
donne des personnalités manipulatrices …
Il y a aussi un risque de tomber dans la mélancolie
(j'essaie de colmater une faille).
De manière contradictoire (ambivalence), ils éprouvent
crainte et besoin des autres… Besoin d'être
admiré… Peur de ne pas être aimé ou reconnu, avec le
risque de tomber dans la mélancolie…
Nous voyons là que cette faille narcissique crée des
comportements différents : d'une attitude névrotique, qui
permet malgré tout une vie sociale, à la psychose
mélancolique.
Chez la personne qui a une faille narcissique, le transfert
est difficile; par contre, lorsqu'il peut se mettre en
place, il y aura souvent , avec le thérapeute, réparation
de ce qui n'a pas pu se passer (ou qui s'est mal passé)
avec les parents.
Pourquoi le mot "faille" ? Ce terme se trouve très rarement
chez les psychanalystes.
Au cours de la gestation et des premiers mois, vous le
savez, l'enfant ne se sent pas différencié de sa mère. Si
la différenciation moi non-moi se fait mal, dans la
douleur, ou mal perçue par le bébé, pour une raison ou pour
une autre (le regard de la mère, son état physique ou
psychique, la manière dont elle investit son bébé,
l'environnement matériel, humain, soutenant ou non, sont
des facteurs importants pour cette construction), nous
trouvons des personnes qui ne s'aiment pas, ne se sentent
pas aimables.
On peut penser que tous les bébés passent par la position
dépressive, au risque d'instaurer une faille, mais en
fonction de l'intensité de la douleur et du vécu qui
succèdera à ce moment , en fonction de la manière dont
l'entourage du bébé le vivra, l'enfant fera face ou non au
danger.
Vous trouverez, chez certains psychanalystes, des analyses
légèrement différentes :
Kernberg (La personnalité
narcissique,
Dunod) affirme : "Tous les patients qui ont une réaction
névrotique ou une pathologie de la personnalité ont des
problèmes narcissiques.
On découvre souvent chez eux que le contenu des buts et des
attentes du Moi et des exigences du Surmoi sont restés à un
niveau infantile qui s'oppose à la maturité des attentes ou
des aspirations narcissiques".
Kohut parle, s'agissant des failles narcissiques, du
développement du "soi grandiose".
Des personnes dominatrices, parfois méprisantes. La
relation ne va pas du Soi à l'Objet, mais du Soi au Soi.
Mais n'est-ce pas là, paradoxalement , une réaction
compréhensible chez quelqu'un qui a du mal avec l'estime de
soi? Qui ne s'est pas senti aimé, soutenu?
Michelle BUSSILLET, Avril
2010